Procès en appel :
Deuxième audience
Un soutien continu
Ce lundi 19 décembre, c'est une cinquantaine de citoyens – venus en majorité de la Lorraine avec le bus du Comité de soutien – qui accueille les inculpés dès leur arrivée sur le parvis de la cité judiciaire. Le soutien continu est assuré… merci aux participants !
Audition d'Édouard Perrin
L'avocat général, John Petry, débute l'audience en expliquant que le parquet a décidé de faire appel général du jugement de juin dernier pour que la Cour réétudie l'ensemble des faits, de manière indissociable. Selon lui, l’acquittement du journaliste Édouard Perrin repose sur une interprétation erronée des faits reconnus en première instance. Il demande un nouvel acquittement, mais cette fois fondé sur le principe de la liberté d'expression du journaliste, justifié par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Édouard Perrin est ensuite appelé à la barre pour être auditionné par le Président de la Cour d'appel, M. Reiffers. Son audition, sans surprise, confirme sa position déjà clairement établie en première instance. Me William Bourdon, avocat d’Antoine, en profite pour lui demander de repréciser le contexte dans lequel Antoine lui a transmis les documents, au cours d’une discussion et d’hésitations de « plusieurs heures ». Le journaliste est formel : seuls les caractères « nominatifs et massifs » des documents ont assuré l’utilité publique des révélations.
Le réquisitoire de John Petry
L’audience continue ensuite par le réquisitoire de l'avocat général. Au cours d’un long développement, très technique, John Petry se penche en détail sur les critères d’application de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Cette jurisprudence précise effectivement que la protection du lanceur d’alerte au nom l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme est subordonnée au respect d’une série de critères :
- l’intérêt public des informations
- l’authenticité des informations
- la bonne foi du lanceur d’alerte
- le principe de subsidiarité (selon lequel le lanceur d’alerte doit divulguer l’information par palier, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire)
- le préjudice causé (le préjudice causé doit être « mis en balance » avec l’intérêt public de la divulgation selon un principe de proportionnalité)
En outre, un sixième critère s’applique à l’État, qui doit établir une sanction de sévérité proportionnée aux infractions reconnues.
Plusieurs critères validés
Selon John Petry, plusieurs critères ne posent pas de problème : il est en effet incontestable que les révélations sont d’intérêt public et que les documents révélés sont authentiques.
Si l'avocat général contestait – dans sa note préliminaire – l’application par Antoine Deltour et Raphaël Halet du principe de subsidiarité, il semble leur accorder le respect de ce critère dans son réquisitoire : selon lui, Deltour et Halet n’avaient « pas d'autres choix que de s’adresser au public ».
La bonne foi, contestée
En revanche, John Petry affirme que la bonne foi d’Antoine ne peut être reconnue lors de la copie des documents, en octobre 2010. Antoine, qui n’est « pas expert en fiscalité », se serait approprié les documents « par opportunité ». Il concède une « attitude critique vis-à-vis de l’optimisation fiscale », mais pour lui, cette simple « curiosité intellectuelle » ne représente pas la démarche d’un lanceur d’alerte de bonne foi !
L’avocat général semble inventer un nouveau critère à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits d’Homme en considérant que le lanceur d’alerte doit avoir des « intentions fermement arrêtées » dès les prémices de son action. Il est ainsi ironiquement reproché à Antoine d’avoir fait preuve d’hésitations et de scrupules avant de livrer les milliers de pages confidentielles en sa possession.
Quant à Raphaël Halet, sa bonne foi n’est pas mise en cause par le réquisitoire.
Le principe de proportionnalité
L’avocat général étudie ensuite le principe de proportionnalité appliqué à la divulgation des documents. Le préjudice subi par la partie civile – rappelons que cette dernière ne demande qu’un euro symbolique de dommages et intérêts – serait d’autant plus grave que les documents divulgués étaient confidentiels. C’est véritablement la protection du secret professionnel que le parquet entend opposer à celle du lanceur d’alerte.
Dans un exercice de construction intellectuelle, John Petry essaie de lister les diverses options qui s’offraient à Antoine, en possession des documents :
- renoncer à toute divulgation;
- ne pas divulguer les documents mais seulement une description des informations contenues;
- divulguer une partie seulement des documents, anonymisés ;
- divulguer seulement quelques documents, en l’état ;
- transmettre l’ensemble des documents au journaliste, en l’état, mais en s’assurant d’une diffusion restreinte des informations contenues ;
- transmettre l’ensemble des documents au journaliste, sans garantie de restriction de leur diffusion ;
- divulguer lui-même même l’ensemble des documents au public.
L’avocat général considère que seules les quatre premières options auraient été pertinentes. Il affirme qu’en remettant les documents sans restriction d'usage au journaliste, Antoine « a méconnu le principe de proportionnalité ». Mais quelles auraient été alors les répercussions de révélations aussi limitées ?
Sur le cas de Raphaël Halet, l’avocat général estime que, les faits dénoncés étant publics, la divulgation n’était pas nécessaire. Le principe de proportionnalité ne serait donc pas respecté.
6 mois de prison requis contre Antoine
L’avocat général John Petry fait donc le compte : en 2011, lors de la transmission des documents, Antoine n’aurait respecté que 4 des 5 critères de la CEDH. En 2010, lors de la copie des documents, c’est seulement 3 critères qui lui sont reconnus. En proportionnalité avec le préjudice subi, il requiert donc une peine “réduite” à 6 mois de prison, associés de sursis, ainsi qu’une amende.
Contre Raphaël Halet, qu’il estime respecter 4 des 5 critères de la CEDH, il requiert une “simple” amende (non précisée).
Comme on pouvait s’y attendre, une confirmation de la relaxe est demandée pour Édouard Perrin.
La suite du procès
La prochaine audience aura lieu mercredi 21 décembre. Elle devrait commencer par la plaidoirie de Me Hansen pour la partie civile, suivie des plaidoiries de Me Bourdon et Me Penning pour la défense d’Antoine Deltour.
Au moins une audience supplémentaire devra être prévue en janvier 2017, pour entendre les plaidoiries de Me Nalepa et Me Colin pour la défense de Raphaël Halet, ainsi que celles de Me Chappuis et Me Hénon pour la défense d’Édouard Perrin.
Dans la presse…
- AFP – Procès LuxLeaks : des peines plus clémentes requises en appel
- France Inter – Le Journal de 23h (à partir de 9'13")
- Le Quotidien – Procès LuxLeaks : l’accusation requiert des peines réduites
- Le Monde – « LuxLeaks » : des peines allégées requises contre les lanceurs d’alerte
- Vosges Matin – Luxleaks : des réquisitions moins sévères contre les lanceurs d’alerte vosgien et mosellan
- Vosges Télévision – Journal du 19 décembre