Ça y est, j‘ai gagné ! Mais est-ce une victoire ?

Cette réaction d’Antoine a été publiée originellement le 11 janvier 2017 sur son compte Facebook. Nous la republions ici en tant que tribune.

Ça y est, j‘ai gagné ! Quoique, normalement, ce qu‘on peut gagner, c‘est une partie, une bataille… Mais je n‘ai rien mené de tout cela. J‘ai seulement exercé ma citoyenneté. Est-ce vraiment une victoire d‘obtenir de ne pas être condamné pour avoir seulement exercé sa citoyenneté ? En tout cas, j‘en suis très heureux, vraiment, c‘est un soulagement. Et je suis très reconnaissant envers les nombreux soutiens, c‘est une victoire collective. Mais à mon avis, cette victoire est la simple application du droit, soit précisément ce qu‘on demande depuis le début.

Et encore, le marathon judiciaire n‘est pas tout à fait fini. Je suis renvoyé devant la Cour d‘appel. Je m‘y rendrai, tranquillement, pour être jugé sur un mini-bout ultra-périphérique du dossier. En fait, je suis parti de la boîte avec des tax rulings (les LuxLeaks), mais aussi avec des diaporamas de formation. Tout le monde le fait et je n‘en ai pas ouvert un seul, mais peu importe. Je vais peut-être recevoir une condamnation résiduelle pour ça. On pourrait aussi m‘arrêter pour avoir traversé au rouge en allant au tribunal. S‘ils n‘ont que ça, je suis bon joueur et accepterai de jeter l‘éponge.

Ma joie est aussi atténuée par le rejet du pourvoi de Raphël Halet. D‘après la justice luxembourgeoise, il ne serait pas un lanceur d‘alerte à cause de l‘intérêt insuffisant des documents qu‘il a révélés. Ces derniers ont pourtant permis de faire tout un numéro de Cash Investigation. Et ils ciblent des entreprises comme Ikea et Amazon qui sont actuellement dans le viseur de la Commission européenne… J‘exprime donc toute ma solidarité envers Raphaël. Il va maintenant poursuivre le combat devant la Cour Européenne des Droits de l‘Homme. On suivra ça de près.

On le sait peu mais la protection européenne des lanceurs d‘alerte existe déjà. C‘est la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l‘Homme. Dans mon cas, pour en obtenir enfin la pleine application, le chemin a été très long (et nous ne sommes pas encore tout à fait au bout). Il aura fallu se battre devant trois instances et collecter de nombreux dons de soutiens anonymes (merci à vous !). Pour éviter à l‘avenir de telles difficultés à d‘autres lanceurs d‘alerte, et surtout à ceux moins visibles qui n‘ont pas la chance d‘être autant soutenus, il est urgent d‘adopter une directive européenne. Cela permettrait de protéger les lanceurs d‘alerte bien plus directement que par la Convention Européenne des Droits de l‘Homme. Nos représentants au Parlement Européen poussent déjà très fort en ce sens. Il faut maintenant lutter contre l‘inertie de la Commission européenne et de certains États membres. Pour cela, la pression de l‘opinion est indispensable.

Enfin, maintenant qu‘on a presque fini de parler du sort des lanceurs d‘alerte, on va peut-être enfin pouvoir se ré-intéresser au fond de l‘affaire. Et j‘ai justement quelques réflexions à partager:

  • Les révélations LuxLeaks 2 de décembre 2014 sont tombées dans l‘oubli alors qu‘elles impliquent TOUS les grands cabinets d‘audit, y compris les concurrents de PwC.
  • Le Luxembourg, qui a brillé dans sa communication post-_LuxLeaks_ (« ce sont des pratiques du passé, nous avons fait beaucoup de progrès depuis ») continue à s‘opposer à l‘harmonisation de l‘impôt sur les sociétés, contre l‘avis même de J.C. Juncker.
  • Malgré quelques avancées en faveur de la justice fiscale, les recettes de l‘impôt sur les sociétés continuent de diminuer en Europe comme la banquise au pôle nord. Et les bénéfices des multinationales grimpent comme le niveau de la mer aux Maldives. C‘est le résultat de la course vers le bas qui découle de la concurrence fiscale.
  • La succession des scandales, et surtout les Paradise Papers, me font peu à peu douter qu‘on arrive un jour à mettre de l‘ordre dans tout ça.
  • Enfin, à mon avis, nous ferions mieux de mobiliser notre temps de cerveau disponible pour atténuer l‘effondrement et construire l‘après. Car l‘espèce humaine ne va pas pouvoir continuer longtemps à détruire son propre milieu de vie sans un rappel à l‘ordre assez brutal.

Désolé pour ce dernier hors sujet, mais au final, c‘est tout ce que j‘aurai gagné dans cette affaire : un peu de notoriété pour continuer à alerter sur les sujets qui me préoccupent.
Et bonne année !

Antoine Deltour